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forêt de fontainebleau

Théodore Rousseau, Zadiste de Barbizon

25 Juin 2021 | L'art et l'actu, Promenade

Depuis quelques jours, les professionnels du bois sonnent l’alerte sur tous les médias. Notre forêt est victime du Covid. Après un long hiver pandémique, on abat à tout va. Ni pour couvrir Notre-Dame, ni pour meubler nos chaumières, mais pour répondre aux besoins de l’industrie chinoise. Qui nous renverra nos arbres en forme de tabourets en kit. Hausse des prix, augmentation de l’empreinte carbone, la Chine aurait mis ses forêts en sommeil 99 ans pendant qu’elle déboise les nôtres… Nous attendons que Théodore Rousseau mobilise Napoléon III, qui n’a pas l’air de prendre conscience du drame écologique.

Le premier défenseur de la forêt

Théodore Rousseau (1812-1867) est le peintre qui obtient le décret impérial protégeant plus de 1000 hectares de la forêt de Fontainebleau. Elle est alors victime de coupes au cordeau et de reboisements inadaptés, organisés par la toute jeune administration forestière. En effet, dans le pays qui s’industrialise, la forêt est soudainement mise au service de la production manufacturée. On abat les vieux arbres pour planter des pins rectilignes dans une logique économique que combat l’artiste. Les « séries artistiques » sont décidées. Des zones de la forêt sont conservées pour les peintres et les promeneurs telles un musée d’arbres à ciel ouvert. Fontainebleau devient ainsi le 13 août 1861, il y a 160 ans, la première zone naturelle protégée au monde pour préserver la ressource… en poésie.

une mare dans la forêt de fontainebleau
Une mare à laquelle s’abreuvent quelques vaches. Théodore Rousseau sera le défenseur de cette forêt encore rurale. The Met, New York. 1855

L’âme du bois

Le nom de Rousseau, prédestiné qu’il soit, n’a pas l’aura de celui de son ami intime Jean-François Millet ou de Camille Corot, stars de l’école de Barbizon. Injuste retour de l’histoire, car c’est lui qui franchit le premier l’orée de la forêt de Fontainebleau pour en faire son grand sujet d’étude. Théodore Rousseau, petit parisien modeste, découvre les arbres très jeune à l’occasion d’un séjour dans le Jura, chez un ami de la famille exploitant forestier. Il découvre les espèces et ne cesse de les dessiner au point d’intégrer des ateliers de peinture paysagère réputés. Sauf qu’en ce début XIXème siècle, la nature est encore assujettie aux grandes compositions historiques. Elle n’est que le décor ou le prétexte aux scènes mythologiques, aux scènes de chasse royale et aux scènes de batailles.

Avant-garde

Théodore Rousseau, à l’aube des années 1830, est à l’avant-garde en choisissant de mettre la nature au premier plan de ses œuvres. Ce choix lui vaudra peu d’estime au Salon et beaucoup de reconnaissance dans les « réseaux romantiques ». Il fait l’admiration de la très influente et grande gueule George Sand et du jeune et révolutionnaire Eugène Delacroix. Le critique d’art Théophile Thoré, admirateur de la première heure, écrit :

Les deux plus grands peintres du XIXè siècle, Eugène Delacroix et George Sand, venait te traiter de frère. On se disait qu’il se préparait un grand peintre dans un petit atelier fermé à la curiosité vulgaire.

Tout ce petit monde romantique est surveillé de près par la Monarchie de Juillet. Rousseau est refusé de salon en salon. Il vit d’autant moins de son art qu’il est toujours insatisfait du rendu sur la toile des effets magiques de lumière qu’il rêve de reproduire.

Tu ne cherchais pas le fini dans la peinture mais l’infini dans la poésie.
Que de fois j’ai voulu emporter de force tes ébauches sublimes. Tu aurais aujourd’hui une belle histoire peinte de tes tourments d’artiste.

Il quitte Paris pour s’installer à Barbizon, lieu-dit qui n’est pas encore un village. Il y vit presqu’au cœur de la forêt, en ermite. Mais il est vite rejoint par de jeunes artistes saturés de la capitale. Paris subit les périodes d’émeutes et les épisodes d’épidémies… La nature si proche et sauvage devient un refuge. L’appel de la forêt sera immense.

clairière dans la forêt de Fontainebleau Barbizon
Clairière dans la Forêt de Fontainebleau, une toile lumineuse du Chrysler Museum of Art à Norfolk, USA, vers 1860.

Artialisation

Dans le sillon de Théodore Rousseau, on dénombre au Salon en près d’un siècle plus de 500 peintres auteurs de plus de 1200 toiles explicitement rattachées à la Forêt de Fontainebleau. Roches, orées, mares, chênes, hêtres, châtaigniers, sont nommément présentés, comme des portraits de nature. Pour cette forêt qui devient un motif artistique à part entière, on parle d’artialisation. Et cette artialisation sera mondiale, car les tableaux de Rousseau sont visibles dans les musées du monde entier, comme l’exportation artistique d’une de nos plus belles forêts nationales. Malheureusement, la qualité des pigments utilisés par Rousseau à l’époque plonge ses forêts dans une inexorable pénombre qui la soustrait à nos yeux…

soleil couchant forêt de Fontainebleau
L’orée de la forêt au soleil couchant, comme un message de Théodore Rousseau, l’ardent défenseur de la forêt de Fontainebleau, LACMA, Los Angeles, vers 1845.

Sauvez notre forêt

Pourtant, qu’ils devaient être beaux les verts et les ocres de Théodore Rousseau. En 1844, Théophile Thoré précédait sa « Promenade au Salon de 1844 » d’une lettre ouverte à Rousseau, l’éternel refusé. Elle est visionnaire. Musair vous invite à la relire.

Le sens de l’art, la vision de la beauté, l’amour de la nature, l’enthousiasme de la vie sont bien rares. Aujourd’hui la société bourgeoise est tournée vers l’exploitation des choses mortes sous le nom d’industrie. Mais l’industrie n’est que le revers de la médaille sociale. La signification essentielle et profonde est écrite de l’autre côté. Il est bien vrai que l’industrie est aussi humaine que l’art. Mais l’homme se passerait bien, à quelque degré, des recherches exagérées de ce qu’on appelle l’utile. La poésie est aussi utile que le pain et le fer.

Citations du critique d’art Théophile Thoré (1807-1869). Extraites de Promenade au salon 1844 et aux galeries des beaux-arts, précédée d’une lettre à Théodore Rousseau. Gallica.bnf.fr / BnF, à retrouver ici.

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