Puvis de Chavannes et les décors de Marseille

L'art et l'actu

Trois jours de déplacement présidentiel dans une même ville, ce n’est pas commun. Alors on en a mangé matin, midi et soir du Marseille aux infos. Et surtout de la cité phocéenne, en veux-tu en voilà ! Sauf que c’est quoi exactement une cité phocéenne ? Une cité où la mer serait d’un bleu phocéen ? Une cité au large de laquelle nageraient des phoques méditerranéens ? La cité de Phocée, le plus grand buteur de l’histoire de l’OM ? Peut-être celle de Phoceus III, le rafiot qui boucha le port ? Musair vous fiche son billet que nous ne sommes pas nombreux à connaître ce Phocée dont tout le monde parle. La réponse, c’est Puvis de Chavannes qui nous la donne !

De Phocée à Massilia

Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898), peintre connu et méconnu à la fois, a représenté en 4 x 6m sur sa grande fresque Marseille, colonie grecque ces Phocéens qui donnèrent son surnom à Massilia, future Marseille. Marseille est née de l’arrivée sur ses berges de migrants grecs chassés de la ville de Phocée près de Smyrne, par une invasion perse au VIè siècle av JC. Réputés pour être marins, négociants et travailleurs, les nouveaux venus firent de Marseille le grand port que l’on connaît et leur mémoire est attachée à la ville.

Une oeuvre à la mesure du cadre

C’est à l’occasion de la construction du palais Longchamp que Puvis de Chavannes crée deux grands décors relatant les débuts et la vocation de Marseille. Le palais Longchamp est imaginé dès les années 1830 autour d’une fontaine magistrale pour accueillir les eaux de la Durance. Sa réalisation, épique, est achevée par Esperandieu en 1869. Il abrite dès l’origine le musée des beaux-arts dans son aile gauche et Puvis de Chavannes est sollicité en 1867 pour faire à Marseille un décor au moins aussi prestigieux que celui du musée des beaux-arts… d’Amiens !

Décors de Puvis de Chavannes
Puvis de Chavannes réalise 2 décors pour le musée, dont Marseille porte de l’Orient. Musée des Beaux-Arts Marseille. 1869

Peintre monumental

En 1867, Puvis de Chavannes a déjà atteint la quarantaine et on ne le connait que depuis quelques années à peine. Son début de carrière s’est avéré bien difficile, ses toiles étant refusées d’année en année au Salon. Il se révèle tardivement après avoir consacré plusieurs années au décor de la maison de campagne de son frère. Il envoie alors une réplique en petit format d’une fresque appelée Retour de chasse. Bim ! En 1859, le Salon s’intéresse enfin à lui. C’est ainsi qu’il réitère avec deux grands formats décoratifs intitulés Concordia et Bellum (guerre et paix) en 1861. L’Etat les achète pour les installer dans le très grand et magistral musée des beaux-arts d’Amiens, appelé Musée Napoléon, comme une petite réplique du Louvre à l’image des fastes du second empire. L’inauguration officielle du musée en 1867 retentit visiblement jusqu’à Marseille. Et ensuite Puvis de Chavannes réalisera d’autres formats magistraux pour les musées de Lyon, de Rouen, mais aussi le Panthéon et la Sorbonne.

Détail de Bellum, la guerre, décors de Puvis de Chavannes à Amiens
Détail de Bellum, 1861, Musée de Picardie Amiens

Peintre contesté

Puvis de Chavannes enchaîne commande sur commande et pourtant, à Marseille comme ailleurs, ses œuvres restent, pour l’histoire « mal accueillies ». P2C réussit l’exploit, de son vivant et dans sa postérité, de recevoir autant de fleurs que de balles de la part des critiques. Quatre raisons à ce contraste.

Officiel

Dans la période extrêmement troublée des années 1870 et 1880, P2C réussit à travailler pour des monuments à la gloire du second empire, comme de la république. Cela lui vaut les inimitiés des jaloux et les foudres des camps adverses.

Décoratif

La célébrité de ses toiles marouflées laisse son œuvre de chevalet en-deçà. Autant on ne reproche guère à Michel Ange d’avoir peint des plafonds, autant en France au 19è et pire encore au 20ème, la peinture décorative est dénigrée, nonobstant sa très grande difficulté.

Nous voudrions voir se répandre l’usage d’orner les palais, les hôtels et les demeures particulières de peintures sur place. Quand cette mode viendra, on pourra confier sans crainte à M. Puvis de Chavannes un château, une salle de festin, un vestibule, un escalier monumental ; il est visiblement né, son Retour de chasse le prouve, pour couvrir les murs de fresques dans le pur goût de l’antique ou de la Renaissance.

Théophile Gautier, Exposition de 1859, dans le Moniteur Universel

Classique

P2C est fasciné par la grandeur de nos racines grecques et latines. L’histoire comme la mythologie inspirent ses sujets et le classent dans le registre pas fun fun de la peinture classique. Pourtant, au-delà des classiques, P2C s’avère également attentif aux paysages, à la situation de ses scènes avec une réelle modernité de traitement qui inspirera bien d’autres.

Pâle

Au moment où P2C commence à s’établir triomphent les peintres de grand format d’histoire, suiveurs de David, enchaînant les kilomètres de drapés rouges flamboyants et les ors éblouissants. Le style pompier est aux antipodes de la palette de Puvis de Chavannes. Pire encore, il impose des figures simples, par applat, sans relief, absolument conscient des effets particuliers à donner à une peinture qui sera installée dans une grande architecture et vue à distance. De cette suprématie donnée au lieu et au point de vue du regardeur, des critiques conclueront que Puvis de Chavannes ne sait pas dessiner…

(…)Puvis de Chavannes, dont le primitivisme marouflé vint confluer avec la philosophie allégorique de la Troisième République. Ainsi le catéchisme de persévérance et l’école primaire se rejoignaient-ils dans la même misère physiologique, (dans) cette tentative d’amaigrissement universel, (dans)l’art le plus désincarné et le plus fantomatique.

Le sympathique commentaire du critique Jean Cassou en 1947.

Inamovible héritage

Ces critiques très vives de son vivant perdurent après sa mort. Pourtant nombre de peintres diront ce qu’ils doivent à Puvis de Chavannes. Odilon Redon, Maurice Denis, Paul Gauguin, jusqu’à Matisse et Picasso… Raison de plus pour arrêter nos yeux sur les pièces magnifiques et inamovibles qui honorent nos grands bâtiments à Marseille comme à Paris. 

Pierre Puvis de Chavannes 1869 – Marseille colonie grecque et Marseille porte de l’Orient. Musée des Beaux-Arts de Marseille. Détails de Bellum, 1861, Amiens Musée de Picardie, art-rmngp. Cet article a trouvé ses sources dans un article de Pierre Vaisse pour la Revue de l’Art. La réception de Puvis de Chavannes ou les ambiguités de la gloire.